Voyages et voyageurs
Préface
Publier et étudier les récits de voyage en Provence, ce nest
pas une idée neuve, puisque dès le début de ce siècle,
en 1904-1905, lAcadémie de Marseille présentait dans ses
Mémoires le Journal manuscrit dun voyage de Dijon en Provence
par M. Fleutelot en lannée 1719 ; en 1986, la revue Provence
Historique sous la signature d Y. Paret nous a donné un exposé
sur les voyageurs en Provence à la fin de lAncien Régime:
Images de la Provence à travers les récits de voyage (1760-1790),
extrait dune thèse sous le même titre mais aux limites
chronologiques plus larges : Du XVIIe au XIXe siècle, thèse
soutenue à Aix en juin 1984. Il y faut ajouter un récit anonyme
conservé sur les dernières pages du registre de Fleutelot et
publié sous le titre : Un voyage dagrément dans le sud-est
de la France pendant la Révolution par la Revue vauclusienne, organe
du département dhistoire et de géographie de la Faculté
des Lettres et Sciences humaines dAvignon.
Les nombreux récits de voyage analysés par les organismes de
recherche méridionaux, font apparaître le souci quont les
Provençaux de bien dessiner la personnalité de la région
à laquelle ils sont attachés ; cette préoccupation relève
du besoin caractéristique de notre époque : définir son
identité ethno-culturelle. Cest ainsi, quen 1992 encore,
ont été édités par lUniversité de
Provence, les actes dun colloque organisé au printemps précédent
par le Centre Méridional dHistoire, animé par le Professeur
Bernard Cousin. Cette assemblée a consacré ses travaux au document
historique quest limage ; le recueil a pour titre : Images de
la Provence, Les représentations iconographiques de la fin du Moyen
Age au milieu du XXe siècle (Université de Provence, Publications,
Aix 336 pp). Dans le même état desprit, le département
dhistoire de lUniversité de Nice a placé au premier
rang de ses recherches, les définitions de lidentité niçoise
et offert dans le numéro 43 des Cahiers de la Méditerranée
(décembre 1991) le recueil des actes dun colloque sur ce sujet
; plus près encore de notre approche, un chercheur de ce département,
Marie-Lucie Véran, attaché territorial à la municipalité
de Cannes, a présenté un ouvrage : Le réel et le pittoresque
dans le paysage cannois au XIXe siècle, (256 pp polygraphiées
et fort bien illustrées).
Quant à nous, ce nest pas lidée que se font les
Provençaux de leur patrie que nous allons examiner, mais à lexception
de Peiresc en contrepoint, limage, la représentation que leur
renvoient les récits de voyages en Provence rédigés par
des ressortissants à dautres provinces, ou les dessins, aquarelles
et tableaux quils en ont tirés. Peut-être loriginalité
de notre colloque est là: ces récits de circuits dagrément
sont en partie des « géographies imaginaires »
comme dirait Pierre Jourde : la réalité perçue reste
bien sûr plus importante que limage rêvée chez la
plupart de nos voyageurs, mais quelques-uns dentre eux, écrivains
ou peintres ne sont pas trop éloignés de Lawrence Durrell, Dino
Buzzati ou Julien Gracq ; et chez tous, cest la subjectivité
du regard quil sera intéressant de mettre en valeur.
Il nest pas simple den débattre ; Giono a écrit : « Il ny a pas de Provence : qui laime, aime le monde ou naime rien. » Mais son quasi contemporain Louis Besson 1908-1954, au début dun gros ouvrage sur Grasse au temps du Conventionnel Maximin Honoré Isnard, affirme : « La Provence est un pays que létranger comprend mal. » Les multiples faciès de cette province sont parfois réduits à une simple dualité ; en 1894, sept ans après la publication de La Côte dAzur du Bourguignon Liégeard, G. Bruno, auteur de ces livres de lecture destinés aux élèves de lécole primaire et assurant bien leur fonction de moyen de documentation, souligne dans le Tour de France de deux enfants, lambivalence de notre région : « Quelle superbe contrée , disait le patron Jérôme, que cette Provence toute couverte doliviers, de pins et dherbes odorantes ! Cest mon pays, ajoute-t-il fièrement, et vois-tu, petit, à mon avis, cest le plus beau du monde. » Mais le narrateur a déclaré auparavant : « Au-delà de lantique cité dArles, la Provence jusque-là couverte de cultures et où on apercevait le feuillage gris des oliviers, devint stérile, sans herbe et sans arbres. Les enfants étaient entrés dans les plaines de la Crau, puis de la Camargue (...) qui ressemblent à un désert de lAfrique transporté dans notre France. »
En fait, la variété des paysages provençaux est encore plus grande ; elle explique labondance et la diversité des communications qui nous sont proposées. Vingt-six conférences seront entendues durant ces deux jours : quatre professeurs allemands, Madame le Doyen du Trinity Collège de Dublin, neuf professeurs de lEnseignement Supérieur français représentant les Universités dAix, Grenoble, Paris, Lille et Nice, cinq érudits dont un élu et un architecte, six conservateurs de musée et bibliothèque, la cohorte fidèle des gardiens de la culture provençale. Mais - est-ce dailleurs un fait du hasard ? - les récits en langue allemande sont très nombreux ; ils ont été le terrain détude non seulement des professeurs allemands mais aussi de leurs collègues français, ce qui nous a conduits à faire de la première journée celle des écrivains de langue allemande ; le Professeur Alain Ruiz, véritable promoteur de cette réunion en sera certainement tout heureux ; et pour faire bonne mesure, nous avons demandé à Monsieur le Conservateur du Musée Matisse de Nice de nous restituer les images de cette grande migration.
La seconde journée nous révèle les aveux des découvreurs
de langue française ; le fonds de récits de voyage examinés
a une longue dimension chronologique : du milieu du XVIe siècle à
la première guerre mondiale ; il a aussi une largeur typologique exceptionnelle
: du poème en hexamètres latins chers à Monsieur le Professeur
Onimus, au carnet de notes, du récit classique aux règlements
institutionnels, du guide de voyage à lalbum de croquis, du tableau
de chevalet aux façades des villes dagrément. Il sera
présenté huit textes inédits ; sept conférences
sont accompagnées de projections.
Ainsi, espérons-le, quelques réponses seront apportées
aux interrogations sur lidentité provençale : celles portant
sur le paysage perçu par les voyageurs étrangers ; mais comme
le paysage nest plus, et depuis longtemps quune construction de
lenvironnement par et pour les hommes, celles portant sur ces bâtisseurs.
Paul Gonnet