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Le chemin des collinettes

L'emménagement
Huit heures du matin à Nice, il faisait encore bon. Mon père gara la 203 presque au coin de la rue Saint-Philippe, au prix d'une savante manœuvre, certes, mais cela nous avait permis de nous trouver à deux pas de notre nouveau domaine. Parvenus devant le magasin, papa chercha tout d'abord les clés dans la poche droite de son pantalon, passa rapidement à la poche gauche, puis les réclama à ma mère. Devant ses dénégations, il poussa un gros soupir, fouilla sa veste, pesta, pour trouver enfin le trousseau lors d'une ultime exploration…de la poche droite de son pantalon.
Nous nous étions bien gardés de faire le moindre commentaire, nous évitant, par-là même, une orageuse justification. Il ouvrit successivement les deux serrures de la double porte de bois, puis celle de l'entrée. Une curieuse odeur de tissu neuf pénétra nos narines : Nous étions chez nous, au numéro soixante-huit de la rue de France, à Nissa la Bella comme disent les gens d'ici.
La matinée était douce, parfumée de l'air de la mer. Nous n'étions qu'à quelques pas de la Promenade des Anglais. Il était encore un peu tôt pour que la circulation, habituellement étouffante dans la journée, envahisse la rue. Un tramway matinal fit tinter sa cloche guillerette au croisement du boulevard Gambetta et s'éloigna dans un bruit de ferraille bien sympathique. Le conducteur, le wattman comme on l'appelait alors, appuyé sur le fond de sa cabine semblait sommeiller, tandis que son unique passager, le receveur, ne laissait entrevoir que le haut de sa casquette au travers de glaces impeccablement transparentes.
La proximité de l'heure de pointe était sans nul doute la cause de ce recueillement intense avant de subir l'assaut imminent de toute une population laborieuse, impatiente de se rendre sur les lieux de son travail.
Mon père nous fit découvrir notre nouvelle demeure. Elle se composait de deux grandes pièces dont l'une servait de cuisine et de salle à manger. L'autre faisait office de chambre et de salle de toilette. Il fut décidé que mon divan prendrait place dans la première, tandis que mes parents occuperaient la seconde.
Notre installation dura jusqu'au soir. Et pour cause : Le camion, qui devait nous amener les quelques meubles possibles à caser dans notre petit logis, s'était perdu et ne trouva plus à se garer lorsqu'il arriva vers onze heures trente. Après bien des palabres, et d'un commun accord, on cassa la croûte avant l'effort : L'heure sacro-sainte du pastis, suivie de celle du repas, non moins importante, allait certainement libérer des places. Ce qui se réalisa au-delà de tous nos espoirs.
L'intendance, bien entendu assurée par ma mère, se montra digne de tous les éloges. Si bien que gavés de poulet, petit salé et autres charcuteries diverses, les déménageurs, anesthésiés au vin du Var, eurent bien du mal à commencer de vider leur camion. Beaucoup plus que lors de l'opération identique effectuée précédemment à l'encontre des bouteilles, si l'on en jugeait par le nombre respectable de flacons abandonnés sur les tomettes de la cuisine.
Impressionnée et prise de court par la consommation pléthorique du précieux liquide, bien qu'elle en ait vu d'autres, ma mère était judicieusement repartie dans l'après-midi, dare-dare, au ravitaillement.
Ceci eut pour heureux effet de galvaniser l'ardeur au travail de ces braves gens. Si bien que le soir vers neuf heures, tout était consommé, bouteilles comprises, ou presque... Ils repartirent d'une démarche étonnamment assurée, qu'une élocution sérieusement altérée n'aurait cependant pas laissé prévoir.
Ma mère réunit alors les restes du repas et sortit un flacon rescapé d'on ne sait où. Nous nous retrouvions, tous les trois, à la lueur d'une seule ampoule, à commenter la journée, élaborant le programme du lendemain, entourés de caisses et de colis. Mais nous étions bien. Il ne nous manquait plus que Taïau, notre gros chien, mis, provisoirement, "en pension" chez ma cousine Roberte et Jean, son mari, que je continuais à appeler Coudin Dan en souvenir de ma toute petite enfance. Ils habitaient la rue Léotardi, près de la place Arson, temple des joueurs de boule.
Malgré ma fatigue, je dormis d'un sommeil agité. Seul le petit jour parvint à calmer mon excitation.
Lorsque je m'éveillai, la physionomie de la pièce dans laquelle on avait installé mon lit avait bien changée ! Plus de cartons. Sur le sol, seules les tomettes rouges brillaient et maman rangeait sa vaisselle dans le buffet. Bon nombre de bruits confus et diverses interjections m'indiquèrent que mon père, à côté, était en train de monter quelque meuble.