Le berger des merveilles
INTRODUCTION
PEIRA-CAVA, le 5 juillet 1964
Chère Mademoiselle,
J'espérais recevoir une lettre de vous pour nous donner, à mon
mari et à moi, de vos bonnes nouvelles et pour nous annoncer que peut-être
vous viendriez nous voir cet été, ce qui nous ferait grand plaisir.
Ici, le temps est splendide, il n'y a plus du tout de neige sur les hautes
cimes et tout est bien fleuri. Si vous voyiez cela, c'est bien joli.
Une seule tristesse dans le pays, une bien curieuse histoire, d'ailleurs :
figurez-vous que le Grand Maurin, vous savez, le vieux berger avec qui vous
aviez de grandes conversations sur le banc du promontoire et qui racontait
de si belles histoires ? Eh bien, il a disparu. C'est il y a quelques temps,
vers la Saint-Jean, deux ou trois jours avant. Un beau matin, plus personne
! La vieille Maria qui s'y rendait chaque semaine pour lui porter du pain
et quelques provisions a trouvé la porte grande ouverte et personne
ni près ni alentour. Elle est revenue le lendemain, puis un autre jour;
mais comment ce pauvre homme qui ne pouvait presque plus marcher serait-il
parti si loin ?
Les gendarmes sont venus, on a cherché son corps partout dans la montagne,
mais on n'a rien trouvé. Le plus curieux, c'est ce que raconte le facteur:
tous les ans, il recevait une carte pour la fin de Juin, c'est vrai car les
gendarmes en ont trouvé cinquante chez lui, cinquante cartes exactement
les mêmes, toutes écrites pareillement, même écriture,
même signature : "Claude", toutes venues de Paris. Eh bien,
voyez-vous, cette année, il n'a pas eu sa carte et il a disparu. C'était
un bien étrange personnage, n'est-ce pas Mademoiselle ? et cela nous
fait un peu peur. Mais à vous peut-être il aura raconté
quelque chose et peut-être vous savez ce qui a bien pu se passer.
Quand j'en parle à mon mari, il hausse les épaules et dit
- Le Berger avait son secret. Il l'a emporté avec lui et la montagne
ne rend pas ce qu'on lui donne.
Nous espérons que vous viendrez nous voir et mon mari se joint à
moi pour vous envoyer notre bon souvenir.
Louise Bacchi
J'ai trouvé en mon cur les étranges récits que me fit le vieux berger et vous les rapporte tels quels. Vous y trouverez son secret.
M. J. A.